PORT-AU-PRINCE – Angelita Alexandre, mère de quatre enfants, habite Caradeux, un bidonville dans le Nord-Est de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti. Elle est une des 1.9 millions de personnes considerées condamnées à la sous-alimentation sévère dans ce pays, mais aujourd’hui, elle a cueilli assez de gombo de son mini potager urbain pour en faire une bonne soupe, que sa famille mangera dans les prochains jours.

Pendant des semaines, elle va encore cueillir du gombo – et d’autres légumes – de son potager d’un mètre carré, coincé entre sa maison en blocs de béton et le mur qui sépare son terrain de celui du voisin. Elle a dégagé même un petit coin pour y mettre un clapier pour l’élevage d’un petit lapin.

Une autre famille dans le quartier a aussi son petit jardin de légumes, même avec la terrasse cimentée autour de leur maison d’une seule pièce, consisté de quelques pneus de voiture remplis de terre fertilisée, un seau qui avait déjà un trou et la caisse d’un téléviseur cassé. C’est là dedans qu’ils soignent leurs onions, leur salade et leurs tomates. Ils ont un poulailler et ils vendent les œufs.

A Caradeux, 326 familles participent à un projet de potagers urbains, aidé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture avec l’appui financier généreux du gouvernement Canadien. A Cité Soleil, le quartier le plus pauvre de Port-au-Prince, il y a 350 familles qui y participent et à Jalousie, un taudis de Pétion-ville, il y a 226 participants.

Ces potagers aident littéralement les mères des bidonvilles à payer l’école de leurs fils. Après la nourriture, ce sont les frais d´éducation des enfants qui constituent la plus grande partie du budget. Ce que les familles dépensent pour pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pourrait aussi être dépensé à la nourriture de la journée. Maintenant le jardin a produit la nourriture.

Ce sont en grande majorité les femmes qui soignent les touts petits potagers. Elles donnent régulièrement à manger à prèsque 4500 personnes au total. Les vegétaux sont plantés et semés selon un système ingénieux qui rend possible la récolte d’une douzaine de légumes durant toute l’année. Quand les habitants ont assez d’espace pour une cage ou un poulailler, ils élèvent des lapins ou des poules pour la viande ou les œufs.

“La plupart des participants au projet se souviennent encore comment il faut soigner un potager de l’époque où ils étaient encore paysan et qu’ils habitaient la campagne. Il n’était question que de les encourager et de leur donner des semences de qualité”, dit Ricardo Saint Aimé, l’agronome de la FAO qui visite Caradeux deux fois par semaine. Il y inspecte les mini jardins, ammène les semences à planter de la saison et ajoute son savoir-faire. “Ils croyaient toujours que jardiner en ville est impossible, mais avec les premiers résultats positifs vient la confiance.”

Le projet entre dans sa troisième année et est considéré un vrai succès. Au démarrage du projet, les premiers mini-jardins florissants ont donné l’exemple aux autres et maintenant il y a deux fois plus de participants que l’on voulait atteindre au début, mais l’idée du jardinage urbain doit s’étendre encore.

“Je suis tellement heureuse quand je sers la soupe de gombo à mes enfants quand ils reviennent de l’école”, dit Mme Alexandre, “mais je serais encore plus heureuse si les autres mères commençaient leurs propres potagers: ça ne leur donnerait pas seulement la satisfaction de pouvoir donner à manger à leurs enfants, mais ça éviterait aussi qu’elles me piquent mon lapin la nuit.”

L’agronome Saint Aimé de la FAO est prêt à élargir son projet. “Il y a encore assez de gens sous-alimentés dans les bidonvilles qui aimeraient beaucoup se lancer dans le jardinage urbain”, dit-il, “mais pour le moment nous sommes en attente que les bailleurs se présentent, même pour pouvoir continuer avec le projet en cours.”

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Après que la valeur des projets de potagers urbains avait été prouvée dans les bidonvilles de Colombia, du Chili et de l’Argentine, la FAO a commencé avec le projet dans les quartiers les plus défavorisés de Port-au-Prince et à Jérémie (province de Grand Anse) en 2007 avec un budget de 920.000 dollars canadiens, provenant de “l’Agence Canadienne pour le Développement Internationale” (ACDI). L’initiative fait partie du “Programme d’apaisement social” du gouvernement haïtien pour combattre la faim dans les zones urbaines les plus pauvres.

Conçu pour enseigner à 1000 familles de faire le jardinage chez eux et pour leurs propres besoins, maintenant presque le double des familles participe au programme en deux provinces de Haïti.

Les maraîchers sont vendus pour remplacer les réserves de terre fertilisée, de semences ou des animaux de ferme, mais pour la plupart ils sont partagés entre les participants au projet. Sept agronomes de la FAO travaillent à plein temps pour encadrer les agriculteurs urbains, dont 85% sont des femmes. Des petits “jardins modele” fonctionnent comme des centres d’apprentissage et de distribution de semences et de plantes. Les techniques correctes y sont enseignées et un superviseur FAO est toujours sur place pour donner un coup de main à ceux qui en ont besoin.

Si une famille pauvre veut s’assurer d’un niveau d’éducation pour ses enfants de qualité comparable à celui d’une famille de plus de ressources, elle est forcée à réduire le budget pour la nourriture, parfois même jusqu’à soixante pourcent. C’est le dilemme devant lequel les familles pauvres se voient placés: choisir entre l’éducation des enfants, ou le repas complet. Les potagers urbains aident à échapper à ce dilemme.

Le fait de savoir qu’on donne à manger à soi même est décisif; les agriculteurs urbains sont très fiers de ce qu’ils produisent et ils ont bien compris que ça les libère de quémander l’aide alimentaire.

Les évaluateurs indépendants ont approuvé le projet et la supervision de la FAO, comme les visiteurs officiels de l’ACDI, sont très contents du succès obtenu jusqu’à maintenant.

Jean Mentens / FAO-Haïti
Novembre 2009